Photo by: Jana Kennedy

Le contrat d’emploi écrit – les dangers et dérives[1]

Dans une décision datée du 13 octobre 2016[2], la Cour suprême a rejeté une demande en autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Howard c. Benson Group Inc. (The Benson Group Inc.)[3]. Cet arrêt de la Cour d’appel met en évidence les risques, les avantages et les désavantages potentiels liés à l’utilisation du contrat d’emploi écrit à durée déterminée.

Les règles présumées par la common law

Rappelons que la très grande majorité des relations d’emploi dans un contexte non syndiqué sont régies selon les clauses contractuelles « présumées » par la common law. Ce « contrat » prescrit qu’un employeur ne mettra pas fin à l’emploi de l’employé sans motif à moins de lui fournir un préavis « raisonnable ».  Le juge en chef Drapeau résume clairement et succinctement les règles du jeu dans l’arrêt Acadie-Presse Ltée c. Blanchard[4] :

Toute personne dont l’emploi est d’une durée indéterminée a droit à un avis raisonnable de congédiement, sauf si celui-ci est fondé sur un motif valable ou si les parties avaient préalablement convenu d’un préavis dont la durée est autorisée par la Loi sur les normes d’emploi, L.N.-B. 1982, ch. E-7.2. Lorsque le congédiement est injustifié et que le contrat d’emploi est muet sur la question du préavis requis ou s’il prévoit un préavis d’une durée inférieure au minimum établi par la Loi sur les normes d’emploi, il appartient à la cour de combler le vide et, le cas échéant, de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable.

Lorsque, comme c’est généralement le cas, l’employeur ne fournit pas ce préavis, il est tenu d’indemniser l’employé l’équivalent au salaire et autres avantages reliés à l’emploi qu’il aurait reçus si l’avis avait été fourni en temps opportun. La durée de ce préavis et, conséquemment, le montant auquel l’employé a droit lorsqu’il est renvoyé sans motif, sont établis en fonction d’une liste de facteurs tels : la nature de l’emploi, les années de service de l’employé, son âge, la disponibilité d’emplois similaires, et autres facteurs[5]. La règle approximative dicte un mois de préavis par année de service.

Un autre point important : l’employé congédié sans motif est assujetti à une obligation d’atténuer ses dommages. Il doit tenter de se trouver un autre emploi comparable. S’il omet de le faire, il pourrait perdre le fruit de sa réclamation. De même, l’employé qui réussit à se trouver un autre emploi verra les gains réalisés durant la période pertinente déduits des sommes (dommages-intérêts) auxquelles il aurait droit s’il n’avait pas travaillé. Effectivement, (et les employés congédiés sont souvent surpris par ceci) le succès de l’employé dans sa quête d’un nouvel emploi avantage son ancien employeur.

Ces caractéristiques du contrat présumé de la common law s’éclipsent lorsque les parties optent de mettre à l’écrit les modalités de leur relation contractuelle d’emploi. En fait, le contrat écrit supplante le contrat présumé, exception faite de toute lacune susceptible d’être comblée par la common law.

L’arrêt Benson Group – première instance

Dans l’arrêt Benson Group, les parties avaient justement signé un contrat d’emploi à durée déterminée (5 années). Au bout de 23 mois, l’employeur a décidé de remercier l’employé Howard sans pour autant invoquer de motif. L’employeur s’est plutôt basé sur une clause du contrat prévoyant de qui suit:

L’Employeur peut congédier l’employé en tout temps et tout montant payable à l’employé le sera conformément à la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario. (traduction)

En vertu de cette loi[6], selon les prétentions de l’employeur, l’employé avait droit à deux semaines de préavis, ou à deux semaines de salaire au lieu d’un préavis. En première instance, la cour a déterminé que cette clause était trop vague pour avoir la portée que lui attribuait l’employeur. En conséquence, il fallait déterminer le préavis auquel avait droit l’employé.  La cour a statué que Howard avait droit à des dommages-intérêts établis selon la common law compte tenu du silence du contrat à cet égard et a ordonné le tenue d’un mini procès pour déterminer cette question et pour traiter des tentatives ou de l’absence de tentative par Howard de mitiger ses dommages durant cette période de préavis. Cette décision a été portée en appel sans que ce mini-procès ait lieu. En appliquant la règle approximative de la common law, on peut conclure que Howard aurait eu droit à l’équivalent de deux mois de gains et avantages collatéraux.

Les questions soumises à la Cour d’appel

Deux questions ont été soumises à la Cour d’appel de l’Ontario. Premièrement, est-ce qu’Howard avait droit à être dédommagé selon la common law ou selon la durée du contrat écrit.  D’après la Cour d’appel, il y a présomption qu’un employé congédié sans motif a droit à un dédommagement selon la formule et selon les facteurs reconnus par la common law à moins que le contrat en prévoie expressément autrement. Ici, la Cour a statué que la durée du contrat était clairement fixée à cinq années. Telle étant la situation, les dommages devaient être établis selon cette durée. En conséquence, Howard a eu droit au salaire et avantages dus pour la balance de son contrat, c’est-à-dire pour une durée de plus de trois années.  (Comparativement aux deux mois que lui aurait accordé les règles de la common law).

La seconde question soumise à la Cour d’appel était à savoir si un employé ayant signé un contrat d’emploi à durée déterminée était tenu d’atténuer ses pertes suite à un congédiement sans motif et sans préavis – comme c’est le cas avec les clauses présumées par la common law. La Cour a statué par la négative. Selon la Cour, une importante caractéristique du contrat à durée déterminée est qu’il fixe à l’avance la magnitude des pertes en cas de bris par l’employeur. Il serait déraisonnable, poursuit la Cour, d’assujettir cette certitude à des évènements futurs possibles, tels l’obtention d’un autre emploi dans les jours suivant le congédiement.

L’impact pratique de cette décision pour Howard a été le suivant : en application de la décision de la Cour d’appel, il a obtenu le droit d’être dédommagé l’équivalent de son revenu et avantages pour une période de plus de trois années suivant son congédiement. Si ce dernier a réussi à trouver un travail à salaire similaire suite à son congédiement, il aura été payé l’équivalent du double de son salaire habituel pour trois années. Le contrat écrit lui a donc été très avantageux.

La Cour suprême du Canada a refusé d’entendre un appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Comme c’est sa pratique, la Cour suprême n’a pas motivé cette décision.

Leçons de l’arrêt Benson Group

Voici quelques-unes des leçons pratiques que l’on peut retenir de l’arrêt Benson Group:

  1. Le contrat d’emploi écrit, qu’il soit à durée déterminée ou non, permet aux parties de fixer à l’avance leurs obligations respectives en cas de congédiement, pour cause ou sans motif;
  2. Il importe d’utiliser un langage clair et sans équivoque dans la rédaction d’un contrat d’emploi;
  3. L’utilisation d’un contrat à durée déterminée fixe la magnitude des dommages-intérêts qui pourraient être accordés en cas de congédiement sans motif. Selon les circonstances, ces dommages-intérêts seront supérieurs ou inférieurs à ce qu’aurait droit l’employé en vertu de la common law.
  4. L’employé qui a signé un contrat d’emploi à durée déterminée n’est pas tenu de mitiger ses dommages suite à son congédiement. L’absence d’efforts ou le succès dans ces efforts ne le pénaliseront pas.

Veuillez communiquer avec Joël Michaud pour en savoir davantage sur les règles applicables lors de la fin d’un emploi ou, pour éviter l’incertitude, faire appel à ses services au moment de la rédaction d’un contrat d’emploi.

#Mercredi Droit et travail : à chaque second mercredi, Pink Larkin répond à des questions générales liées au droit de l’emploi et aux droits de la personne. Ces articles ne sont pas des avis juridiques. Le lecteur averti évitera de les considérer ainsi.

 

[1] Cet article n’aborde pas les prescriptions des lois sur les normes minimales de travail traitant de préavis au congédiement.

[2] 2016 CanLii 68016.

[3] 2016 ONCA 256

[4] 2013 NBCA 58, au par. 1.

[5] Voir entre autres Lewycky c. EXP Services Inc. – les services EXP inc., C.O.B. EXP, A Body Corporate, 2014 NBQB 110.

[6] On retrouve ces lois minimales à travers le pays. Au N.-B., il s’agit de la Loi sur les normes d’emploi, L.N.-B. 1982 ch. E-7.2